Ali Boubakar du SWEDD : « Tout le monde est d’accord qu’il ne faut pas marier les filles en bas âge »

Le taux de naissance élevé et le mariage précoce des jeunes filles sont des préoccupations pour les autorités Nigériennes. Il s’agit pour l’Exécutif de promouvoir les naissances responsables et capturer le dividende démographique tout en maintenant les jeunes filles à l’école. Comment le Niger fait face à ce défi ? Quelles sont les projections ? Pour cela, agendaniamey.com et le journal papier le plus vendu au monde, le journal japonais « The Yomiuri Shinbun » ont mené une interview conjointe à nous accordée par Ali Doungou Boubakar, Coordonnateur National du Projet SWEDD.

ANY : Bonjour M. Ali Boubakar, merci de nous avoir reçu. Présentez-nous le projet SWEDD

A.B. : Le SWEDD (projet d’Autonomisation des Femmes et Dividende Démographique au Sahel) est une initiative régionale qui a eu lieu en 2013 suite à la visite des personnalités au Niger comme le Secrétaire général des Nations Unies, la Directrice générale de l’UNFPA, le Représentant de la Banque mondiale, de l’UEMOA, de l’UA. Le Niger avait fait un plaidoyer auprès de ces partenaires pour l’ensemble du Sahel. Nous (le Sahel) avons une jeunesse très importante, nous avons un problème d’emploi pour ces jeunes qui sont tout de même un potentiel à exploiter.Le plaidoyer était de demander l’appui de la communauté internationale à aider nos Etats à trouver une solution à ces jeunes, de sorte à trouver un moyen de tirer profit de leur potentiel pour le développement.

C’est de là que l’idée est venue de créer les conditions pour permettre à ces pays de capturer le dividende démographique, transformer cette croissance démographique élevée en atout pour le développement économique. Ceci, à travers une meilleure maitrise des questions de la santé de la reproduction, en donnant une meilleure éducation aux jeunes filles, en les maintenant beaucoup plus longtemps à l’école, en créant les opportunités économiques pour ces jeunes tout en faisant parallèlement l’offre de service de santé de reproduction et en matière de santé familiale. Ce sont tous ces facteurs combinés qui permettront au bout de quelques décennies à ce pays de capturer le dividende démographique. Cela prendra 10, 15 ou 20 ans pour ressentir véritablement les effets.

Le SWEDD est initié dans 6 pays pour tester cette approche (Le Burkina Faso, la Côte d’ivoire, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad) lancée à Niamey en 2015.

Aujourd’hui, cette initiative fait tâche d’huile. La preuve, 9 pays y sont membres et d’autres pays se préparent pour accueillir ce projet. Surtout que dans le cadre de l’agenda 2063 de l’UA (Union africaine), les chefs d’Etat ont demandé à tous les pays africains d’adhérer au SWEDD qui est l’une des meilleures voies pour apporter la solution adaptée aux défis de la jeunesse africaine.

En bref, le rôle du SWEDD est de créer les conditions pour permettre la capture du dividende démographique et garantir un meilleur avenir à cette jeunesse qui se développe de façon exponentielle.

Le Niger est le pays ayant le taux de croissance démographique le plus élevé au monde. Qu’est ce qui explique cela ?

Au Niger, avoir beaucoup d’enfants est considéré comme un facteur social très positif, parfois même considéré comme un signe de richesse même si sur le plan économique, ce n’est toujours pas démontré. Mais dans la mentalité des uns et des autres, c’est synonyme de richesse, de bonheur.

Cela est aussi dû au comportement nataliste de la population tout comme à cause du fait que la fécondité des femmes est très précoce. Au moins 70% des femmes mariées le sont avant l’âge de 18 ans. Donc, elles commencent leur fécondité très tôt, ce qui fait qu’elles ont toutes les chances d’avoir dans leurs vies, beaucoup plus d’enfants que les femmes qui se marient tardivement.

Ceci étant, il y a aussi l’effet positif de la médecine qui a contribué à l’amélioration de la santé maternelle et de la santé sexuelle reproductive. Avec les efforts du gouvernement ces dernières années pour permettre à la femme d’avoir une maternité sécurisée, ce facteur a aussi contribué à ce taux de fécondité assez élevé.

Cependant, ce n’est pas une fatalité en soi. Si vous prenez l’histoire du Niger, ce fort taux de fécondité a commencé à baisser. Il y a encore 5 années de cela, le taux de fécondité était de 8 enfants par femme. Aujourd’hui, ce taux est autour de 6 enfants par femme selon les statistiques.

Cela montre qu’il y a une certaine baisse amorcée grâce aux efforts entrepris par le gouvernement dans le cadre d’une fécondité plus responsable et les possibilités existantes pour les couples de mieux gérer les maternités. Les questions démographiques sont des questions très sensibles dans nos sociétés et sont liés au changement social de comportement, ce qui prend du temps.

Voilà pourquoi le Niger a élaboré une stratégie nationale de changement social et comportemental. Des campagnes de sensibilisation de comportement auprès de différentes couches sociales sont menées et cette campagne est pilotée par les autorités, les leaders religieux et traditionnels qui font passer le message à travers les médias, les canaux publics.

Ce fort taux de croissance sera très envié par le Japon par exemple dont le taux de natalité est d’1,39 enfant par femme. Selon vous, si le NIGER continue sur cette lancée démographique, à quel type d’impact pourra t-on s’attendre ?

Déjà, nous constatons que la croissance démographique est plus rapide que la croissance économique. Même si la plupart de nos Etats aujourd’hui ont une meilleure croissance économique, le taux de croissance démographique annihile les efforts du gouvernement. La conséquence est qu’on ne ressent pas les impacts. Mais, avec les multiples actions coordonnées mises actuellement en œuvre, leur croisement avec le temps permettra de capturer le dividende démographique de sorte à sentir ce changement à moyen et long terme.

Beaucoup s’accordent à dire que le fort taux démographique est justifié par le faible statut social des femmes. Que pensez vous de ce point de vue ?

Pour moi, c’est un cliché, les mentalités ont beaucoup évolué. Je vais vous donner un exemple. Aujourd’hui, les questions de mariage, de statut ou rôle de la femme sont débattues en public sans tabou, dans les médias, on organise des forums. Ce qui n’était pas possible, il y a de cela 10 ou 20 ans. Aujourd’hui, tout le monde en parle y compris des leaders religieux et traditionnels qui étaient les premiers à faire la résistance. Aujourd’hui, on a créé des Task Force auprès de ces leaders qui ont été formés, sensibilisés. Ils ont compris l’intérêt du sujet parce qu’il y avait une mauvaise interprétation et compréhension de la religion. L’islam qui est majoritaire au Niger est une religion qui a toujours donné une place de choix à la femme, sur le respect de ses droits.

Depuis que les leaders ont compris cet enjeu, ils ont pris le lead, c’est eux mêmes qui mènent les sensibilisations, ils ont des plans d’action, etc. Récemment, il s’est tenu à Niamey, un symposium des chefs traditionnels du Niger qui a débattu de la scolarisation et le maintien de la jeune fille à l’école, le repositionnement de la planification familiale pour le bien-être de la famille et la lutte contre le mariage des enfants.

Tout le monde est d’accord aujourd’hui qu’il ne faut pas marier les filles en bas âge, que les filles qui sont à l’école, il faut les laisser étudier. Ce sont des progrès importants à souligner et encourager. Maintenant, il faut aussi comprendre que tout ce qui touche la vie sociale des gens est sensible et le changement prend du temps, mais je pense que nous sommes sur une bonne trajectoire et d’ici quelques années, nous allons sentir ce changement. La jeunesse d’aujourd’hui a l’esprit beaucoup plus ouvert et avec les réseaux sociaux, on peut se renseigner et avoir beaucoup d’informations qui n’étaient pas accessibles par le passé.

Interview réalisée par Guevanis DOH et Ryoji Fukazawa

Quitter la version mobile