Cinéma, « ZINDER », un film de AICHA MACKY… J’ai vu et j’en parle! (Chronique)

Le Centre de conférence Mahamat Gandhi de Niamey était archi comble vendredi dernier lors de la projection du film documentaire « ZINDER »  de la réalisatrice Nigérienne Macky Kidy Aicha.

Avant d’entrer dans la salle, ce qui m’a frappé c’est cette longue file des cinéphiles venus découvrir le film. Oui cela, fait très longtemps au Niger que nous n’avions pas assisté à un tel engouement, une telle fièvre collective de venir voir un film. Oui un film documentaire…

Cela dénote bien évidemment de la crédibilité de la réalisatrice, de sa capacité de mobilisation et surtout de l’espoir que nourrit notre population à un retour actif et normal de notre cinéma dans les salles.

 

Je n’ai pas fait la queue comme ces milliers qui attendaient, j’ai eu la facilité de rattraper mon retard et de pouvoir entrer avant les cérémonies officielles.

Je croyais trouver la salle vide vu le monde qui attendait dehors ! Mais non! La salle est déjà pleine, oui déjà les places libres se comptent difficilement.

Et un public constitué essentiellement des jeunes et des adultes. Il n’y a pas d’enfants;  donc un vrai public de cinéma.

Après les notes des deux présentateurs dont  Jaloud Zainou Tangui  et les discours élogieux prononcés par la Coordinatrice résidente des systèmes des Nations Unis au Niger, Louise  Aubin, et le Ministre de la Culture de l’Artisanat et du Tourisme, Mohamed Hamid, place à la projection du film tant attendu.

 

ZINDER, un film dont l’entrée (au début) est suavement préparée par un plan  méticuleusement fait. Un calme précaire avant la tempête… Oui un calme avant la tempête que le film a annoncé déjà  dans son résumé et sa bande annonce qui d’ailleurs avaient mis l’eau à la bouche à la plupart des spectateurs.

A partir des rochers qui surplombent la ville de Zinder, un plan, suave je disais,  nous fait découvrir une ville calme jusqu’à ce que apparaisse un drapeau…. Oui un drapeau pas celui d’un pays mais symbole d’une histoire triste de l’humanité. Le drapeau Nazi du tristement célèbre Hitler. Cette image qui a  choqué sûrement plus d’une personne car c’est certainement la première fois que ce drapeau Nazi flotte dans un film nigérien et peut être même dans nos rues….

Très rapidement quand les personnages ont commencé à s’exprimer (pas à se justifier) le spectateur comprend vite la révolte de cette frange de jeunes qui se retrouve dans ce symbole que représente le drapeau Nazi. Parlant des personnages du Film….

 

Les personnages du film nous captent dès leur entrée en scène par leurs gabarits,  leurs gros muscles démesurés qui cachent leurs jeunes âges. On est à la fois frappé par leur physique que leur jeune  âge ! Mais tout de suite,  on prend de la peur, la peur que suscitent ces muscles dès qu’ils commencent à raconter leurs vies  antérieures et que l’on comprenne que ces jeunes révoltés sont,  ou ont été en réalités des Gangs. Oui des Gangs organisés  en « Palais »  qui violaient,  tuaient, fraudaient,  pillaient et terrorisaient  jour et nuit les « Zinderois ». On est tout de suite révolté vraiment et même dire, que rien ne justifierait de tels actes sur son propre peuple, ses propres frères et soeurs …

Mais non, justement non… Pour ceux qui comme moi étaient attentifs aux détails et qui ont rapidement pu sortir de leur têtes cette réflexion accusatrice, et qui ont finalement  pu prendre du recul, ils ont entendu et compris qu’en réalité, à un moment donné, ces jeunes ne se sentaient plus de cette société, de notre société qui ne les avait jamais accepté à plus forte raison de leur donne la chance d’être des gens comme nous. Pas même eux qui sont jeunes, mais leurs parents auparavant n’ont jamais été acceptés par la population de Zinder. Depuis le début, des générations d’hommes et de femmes ont été stigmatisées et pratiquement mis en quarantaine dans ce quartier  de Zinder appelé KARA KARA. Et tous ceux qui y habitent sont aussi marginalisés dans les affaires quotidiennes de la gestion de la cité. Alors de là est née une génération des jeunes frustrés, illettrés, et envieux de ce monde qui leur est totalement inaccessible.

 Alors petit à petit Zinder a perdu son calme, Zinder émettait des ondes inquiétantes… Les journaux locaux  en parlaient timidement  et même au delà de nos frontières…. C’est d’ailleurs un de ces articles écrit avec virulence, ignorance et hâte  (peut être) qui a révolté  la réalisatrice lors d’un de ses séjours aux USA.

(…) Oui, ces jeunes justifiaient quasiment leurs actes par le désespoir dans lequel ils ont grandi. Leurs parents en ont payé les frais. Mais eux ont décidé de faire payer la population de « l’autre Zinder » qui continue à les marginaliser.

Voila en quelque sorte la plaidoirie de ces jeunes à qui Aïcha ( la réalisatrice, ndlr) a décidé de donner la parole.  On comprend qu’ils n’ont jamais eu cette parole au fait. En tout cas pas devant une caméra d’une de leurs sœurs qui dans d’autres circonstances pouvait être une de leur proie et qui est revenue et assez audacieuse pour les approcher et les  écouter.

Voilà  aussi ce que explique leur vif enthousiasme et leur familiarité très visibles dans ce film ponctué des scènes d’humour (même sadique des fois) qui caractérisaient leurs propos et qui faisait sourire ou applaudir (naïvement la salle).

Le  film a rapidement donc  rompu avec le tempo doux que voulait lui donner la mélodie qui fusait au début du film pour laisser place d’abord au son des barres de fer de ces séances chaudes de musculation, aux bruits tonitruant des motos, des tricycles et des voitures qui rythmeront désormais les extérieurs jours du film.

 

Aicha a l’intelligence de nous détacher de ce  rythme effréné et de nous laisser souffler avec des jolis plans de nuit et du paysage rocailleux qui surplombe et entoure la ville de Zinder. Mais on revient de suite à une autre journée encore plus intense avec les quotidiens très précaires de certains de ces personnages qui veulent vivre une vie normale. Qui pour vendre de l’essence fraudé et frelaté dans les rues de Zinder,  qui pour faire de moto taxi, qui pour oser aller prendre de l’essence fraudé au Nigeria voisin. Cette dernière activité est périlleuse et le film a montré les risques évidents, les dangers imminents  et aussi les conséquences de ce genre d’activités.  Mais avaient ils le choix? Ces jeunes avaient il vraiment  le choix?  Non, car même ceux de leur génération pourtant crédible aux yeux de l’autre Zinder, eux qui sont sans devenus Gangs,  s’y adonnent aux mêmes activités pour survivre du chômage et de la précarité.

Et surtout, disent- ils  à la réalisatrice en coulisse, échapper à la tentation de suivre la Robe du temps, pas celle de notre cher ami le grand frère de Aïcha (comme elle l’appelle affectueusement)  Saguirou Malam  qui était le sujet et le titre d’un de ses films documentaires. Et pas même la robe du temps qu’il porte lui même  actuellement en s’adonnant à l’agriculture afin de contribuer à  l’autosuffisance alimentaire et donc le progrès du Niger…, 

Bon eux, ces jeunes gangs étaient tentés plutôt de suivre la « robe du temps »  du terrorisme et de la délinquance et donc de la mort ou de la prison….

Voilà ce qui les tente…. Et ça c’est un danger très grave pour toute société dont les propres enfants sont enrôlés dans la guerre et le  terrorisme. Oui Boko Haram n’est pas loin de Zinder, et de ces jeunes, la prison quant à elle est encore plus proche d’eux puisqu’elle est dans la ville et la police Nigérienne et la justice les ont à l’oeil!

D’ailleurs le film nous a montré tout cela. On se souvient qu’un des personnages du film a été arrêté entre deux séquences du film ( on l’a constaté).

En cinéma documentaire et surtout pour ce genre de film qui a pris 08 ans de gestation,  il y a de risque de désistement d’un personnage ou même de la mort d’un et là on change son fusil d’épaule, on fait son deuil d’avoir perdu un (?) bon personnage, pour faire le casting d’un autre. Mais non notre réalisatrice,  sociologue a décidé de franchir le seuil de prison pas par curiosité mais pour continuer à faire le film  avec son personnage  et à le soutenir. Et on voit dans son visage (le personnage) détendu  quand le juge a prononcé le mois verdict de 03 ans de prison et une amende de 30000 FCFA. On le constate encore plus  lorsque son avocat lui explique en Haoussa le verdict qui vient d’être prononcé contre lui, son visage moins désemparé que la toute première fois qu’on l’a vu en prison(…).

 

Ce film Zinder est film écrit avec une grande attention à ne pas blesser le ressentiment des « zinderois » et même des Nigériens qui se forcent à voir de Zinder qu’une ville riche dans son histoire, ses intellectuels et dans son économie. Pour ne pas laisser paraître comme une fille qui veut montrer que la facette sombre de cette vraie et triste histoire des jeunes du palais, Aïcha a agit en sociologue. Sociologue, oui  elle l’est et son film le  démontre par la démarche claire qu’elle a adopté vis à vis de ses personnages et surtout nous ses  spectateurs : « Tendre le miroir à la société pour qu’elle voit d’elle même ce qu’elle ne veut pas voir»

Oui…. Hier beaucoup ont pris du plaisir à voir et à entendre ce qu’ils ne voulaient pas voir ou entendre. Ce que la société a toujours caché ou rejeté,  Aïcha l’a montré en disant en quelque sorte ceci: «ouvrez bien vos yeux et vos oreilles c’est bien vos enfants que vous voyez et entendez et Kara kara, ce quartier  que vous maudissez   c’est bien Zinder et aussi et c’est au Niger! Et ce film, je l’ai appelé Zinder pour que désormais vous ne détournez plus vos yeux et que vous ne fermez plus vos oreilles. Regardez la réalité en face et surtout soyez les ambassadeurs de ces jeunes Nigériens qui sont partout ( en réalité ) au Niger».

Ce message du film, si Aïcha ne l’avait  pas dit dans son intervention de la veille à la conférence de presse du lancement de son film on l’aurait tout de même entendu dans le film qui  le montre et le dit. Et tout le monde a digéré ce qu’il a vu et entendu.

Et on a compris que ces cicatrices que Aicha montre tout le long de son film,  le long des corps de ses personnages; que  ces blessures cicatrisées peuvent se réveiller tel un volcan et faire couler les laves de la violence dans nos quartiers, dans nos rues et même dans nos paisibles sommeils de citoyens « honnêtes ». Les événements de Charlie Hebdo nous les ont rappelé.

 Oui j’ai été frappé par les images de ces cicatrices expliquées et commentées et ça m’a rappelé les voiles, les foulards  que Aïcha et ses personnages Dela et Nadia  de son précédent film,  l’arbre sans fruits,  nouaient ça et là dans le film. Oui ce voile qui laisse entrevoir une femme résignée à son sort mais qui tombe  à travers  Aïcha qui dit s’affirmer  en tant que femme qui ne laissera jamais abattre faces aux préjugés de la société et a la domination de l’homme. N’est ce pas ça les raisons de la création de sa boîte de production « Tabou films production » pour justement transcender les barrières?

 

En conclusion de cette analyse faite en  profane du critique de cinéma,  je  ne peux pas vraiment parler de ce film sans parler de la solidarité, de la ténacité et de la foi qui anime la réalisatrice d’abord et ces jeunes et qui appellent à un véritable élan d’humanité et d’inclusion sociale sans discrimination.

 

On ne peut non plus parler de ce film  Zinder en parlant du seul talent confirmé de la réalisatrice Aicha Macky sans parler de la qualité des images de Julien Bossé   et du son de Adamou Mato Abdoulaye   et aussi du montage, du mixage de l’étalonnage, du choix des mots par Idi Nouhou, Edouard Lompo et les autres  pour traduire  le film en français afin de permettre une lecture aisée du film.

On ne peut non plus pas parler  de ce film ou plus tard le  raconter à ceux qui ne l’ont pas vu encore, sans parler  de la séquence où un des personnages du film discutait avec sa jeune épouse qui attendait leur premier enfant (fille ou garçon) et dont le père même s’il riait de joie, se morfondait de ne pas pouvoir assurer les dépenses liées au suivi de la grossesse et surtout qu’ à la fin du film,  à la présentation des acteurs et de l’équipe  de tournage par la réalisatrice elle même,  nous découvrons ce bout de chou qui sûrement est né sous la bonne étoile d’une nouvelle page que ce film Zinder vient d’ouvrir.

En tant que coproducteur du premier film de Aïcha Macky, « l’arbre sans fruits » ayant travaillé avec Clara Vuillermoz  productrice de ce nouveau film de Aïcha, je sais le sérieux, le travail abattu pour amener ce film à ce niveau de haute facture. Et ayant assisté ou suivi de loin les prouesses de la production avec Osman Sam , j’ai attesté de la maturité de l’équipe et donc de la quasi réussite du projet qui a débuté il y a 08 ans.

 

Sani Magori

Directeur du Centre Nigérien de la Cinématographie Nigérienne (CNCN)

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