James Johnson, migrant libérien : « J’essaie de gagner de l’argent pour avoir un visa afin de voyager légalement cette fois-ci»

James Johnson est le surnom que nous donnons à ce migrant libérien ayant quitté son pays depuis 2014 pour rejoindre l’Italie. Après avoir passé les 5 dernières années entre le Niger, l’Algérie et la Libye à guetter la traversée de la mer, il a dû prendre une nouvelle résolution. James se retrouve aujourd’hui au Niger et a accepté de partager avec nous, son histoire.

Bonjour James, vous avez un BAC+2 en Economie et Comptabilité à l’Université de Monrovia. Puis, un beau jour, vous laissez tout tomber pour migrer. Pourquoi ?

J’avais des difficultés pour payer mes frais d’études universitaires. Les parents n’ont plus de moyens, mais j’aspirais à une étude de qualité. La solution était de migrer en Europe.  J’ai donc pris la résolution de migrer en Italie dans le but de travailler puis financer mon cursus universitaire. C’est là en Europe qu’il y a de grandes universités d’où sortent les cadres de nos sociétés en Afrique. Les diplômes ne sont pas les mêmes. On privilégie dans le monde du travail une personne ayant fait ses études universitaires en Europe qu’une autre ayant eu son diplôme sur le continent.

J’ai quitté Monrovia depuis 2014 et j’avais 30 ans. Du Libéria, je suis passé par la Guinée Conakry, le Mali, le Burkina Faso puis le Niger. Du Niger, je suis rentré en Algérie, puis la Libye.

Quelles sont les difficultés rencontrées sur le chemin ?

Les difficultés sont nombreuses. La première, c’est avec les soldats qui gardent les frontières. On voit sur tes papiers par exemple que tu as traversé deux ou trois pays, les soldats commencent par te poser des questions. Ils savent que tu es en train de migrer, donc tu as de l’argent sur toi. C’est là où on commence par te demander des rançons sur le chemin pour pouvoir continuer ta route.

Mais, je m’en suis sorti sans trop dépenser et cela ne m’a pas découragé.

Racontez-nous la traversée du désert entre le Niger et l’Algérie

Du Niger, nous avons atteint l’Algérie. Pour moi, le désert est trop vaste et il arrive même qu’on descende pour marcher afin de dribbler les check points des soldats. Il n’y a pas de route tracée, tu marches et tu ne sais où tu vas et beaucoup se perdent durant cette marche.

Si vous rencontrez des soldats, leur plus grande préoccupation, ce sont vos papiers qu’ils demandent et savoir si vous avez un visa pour l’Algérie. Moi, j’ai payé un passeport malien sur le chemin pour faciliter mon voyage parce que les maliens n’ont pas besoin de visa pour aller en Algérie.

De l’Algérie, je suis rentré en Libye et j’ai posé mes valises dans un ghetto, un passage forcé pour connaître les bons plans afin de traverser la mer.

Dans les ghettos, j’étais en binôme avec un malien et on veillait l’un sur l’autre parce que c’est très violent dans les ghettos. J’y ai passé 23 jours.

Alors, et votre traversée ?

Normalement, une fois dans le ghetto, l’on n’a pas le droit de sortir jusqu’à ce que vous soyez informés de votre départ par la mer. Heureusement, j’étais en bons termes avec le chef du ghetto qui me permettait de sortir. Cette liberté de mouvement m’a permis de m’informer davantage, de connaître l’écho des autres ghettos et surtout de ceux qui nous ont précédé par la mer. Soit, ça marche, ils atteignent l’Europe, soit, ils sont arrêtés par la Police et mis en détention, soit, ils meurent en mer.

La veille de mon départ, j’ai appris qu’il y avait un bateau qui avait quitté dans la matinée et qui a connu un naufrage. Ils étaient tous morts. C’était la tristesse, la désolation, les pleurs, etc. J’ai analysé tout cela et j’ai décidé de reporter ma traversée.

J’ai donc quitté le ghetto pour travailler en ville à Tripoli jusqu’en 2016, le temps de prendre davantage d’information. J’ai finalement compris que les chefs de ghetto, les passeurs, les fabricants de ghetto sont en complicité avec la police et il y a trop de paramètres qui échappent aux migrants. C’est alors que j’ai décidé d’abandonner temporairement mon voyage.

Et vous avez décidé de rentrer chez vous ?

Non, je suis revenu en Algérie où j’ai passé plus d’un an en travaillant et en analysant d’autres moyens plus sûrs pour voyager. Mais, les rafles étaient trop fréquentes et je n’avais pas les papiers nécessaires pour avoir un permis de travail.

Pour éviter de se faire refouler par surprise un jour, j’ai moi même décidé de quitter Alger pour rejoindre Tamanrasset à la frontière du Niger par un bus avant de regagner moi-même Niamey en 2018.

C’est un voyage périlleux James ! Alors, vous avez 35 ans aujourd’hui, 5 années sont passées et votre rêve n’est pas encore réalisé. Que comptez-vous faire maintenant ?

De toutes les façons, je ne pourrai pas rentrer au Libéria. Je me suis endetté pour prendre la route et le créancier attend son argent. En plus, j’ai quitté mon papier pour raison d’études supérieures de qualité.

Donc, à Niamey, je réorganise ma vie. J’essaie de gagner l’argent pour avoir un visa afin de voyager légalement cette fois-ci. C’est parce que la procédure de visa est parfois compliquée que j’avais tenté la route, mais je pense que c’est la meilleure solution pour moi aujourd’hui.

Un message pour tes jeunes frères qui planifient en ce moment le voyage par la route ?

Ce que je peux leur dire, c’est que c’est vraiment dur sur le continent, nous le savons tous. Mais, cela ne vaut pas le coup de risquer sa vie en tentant de traverser la mer.

Si on voyage de manière irrégulière et qu’on meurt, on ne pourra pas aussi réaliser son rêve. Je conseille aux jeunes donner forcer aux préjugés et idées reçues, mais de rester sur le continent et trouver un moyen de pression pour que nos autorités améliorent nos conditions de vie.

La plupart des migrants viennent de l’Afrique de l’ouest et centrale. Ce que j’aimerais dire aux autorités africaines, c’est de savoir créer de l’emploi pour les jeunes, qu’ils soient diplômés ou non afin d’éviter les situations catastrophiques que j’ai vécues durant mes séjours.

Interview réalisée par Guevanis DOH, Journaliste – Consultant sur les questions migratoires

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